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Réunir les anosmiques et les professionnels du parfum

Rassembler autour d’une même table des parfumeurs-créateurs avec des personnes nées sans odorat et membres de l’association Anosmie.org. : c’était le pari de Cinquième Sens. Le 3 octobre dernier, une vingtaine de personnes ont donc dialogué sans faux-semblants et confronté leurs points de vue, ouvrant des pistes pour connecter deux mondes a priori parallèles.

Se mettre dans la peau d’une personne anosmique

Emmanuelle et Pierre-Emmanuel, atteints d’anosmie congénitale, ainsi qu’Anouche, qui a développé à l’âge de 20 ans un odorat partiel mais dysfonctionnel, témoignent. À la première question posée par Grégoire Balleydier, parfumeur-créateur chez dsm-Firmenich « Comment concevoir les odeurs que l’on ne sent pas ? », les réponses diffèrent. Pierre-Emmanuel explique qu’elles lui apparaissent comme des émotions qui flottent et qui donnent des informations en avance à ceux qui peuvent les détecter. Pour Emmanuelle, la prise de conscience de l’anosmie a été tardive, à 19 ans. C’est le livre de Patrick Süskind « Le parfum » qui l’a initiée à cet univers, et surtout au fait que chacun possède son odeur corporelle. Un constat plutôt frustrant. Anouche perçoit elle certaines odeurs, mais avec des distorsions par rapport à quelqu’un qui possède l’intégrité de ce sens. La plupart lui paraissent agressives.

Les trois participants témoignent de leur rapport à la nourriture. Le plus souvent, les anosmiques lui manifestent du désintérêt car le goût est impacté à 80 % par l’odorat et la rétro-olfaction n’opère pas. Anouche signale que pour elle, certaines saveurs a priori assez neutres explosent violemment en bouche et sont perçues comme désagréables. Des mécanismes de compensations peuvent apparaître : un fort attrait pour des qualités organoleptiques comme celle du gras, voire une addiction au sucre. Chacun met en place ses propres stratégie pour cuisiner : doser le sel ou les épices, éviter de brûler les préparations culinaires : des risques non négligeables car l’anosmie a bien sûr un impact quotidien.

Des solutions à inventer

Les parfumeurs prennent également la parole : Jean-Michel Duriez (Atelier JMD) explique que l’anosmie partielle par rapport à certaines molécules utilisées en parfumerie n’est pas rare. Céline Perdriel (Cosmo Fragrances) parle d’une hyperosmie plutôt déstabilisante qu’elle a développée pendant la période de sa grossesse. Isabelle Larignon (Isabelle Larignon) se définit comme hypersensible aux odeurs et décrit le silence olfactif, qu’elle a ressenti lorsqu’elle a été touchée par le virus du Covid, plutôt reposant. L’évocation de ces moments vécus permet d’approcher la perception induite par l’anosmie et les troubles de l’olfaction, un sujet auquel les créateurs de parfums sont très réceptifs.

Depuis Proust, neuroscientifique avant la lettre, on sait que les odeurs sont intimement liées à la mémoire. Privés de cet encodage, les anosmiques décrivent les systèmes d’ancrage conscients qu’ils utilisent lors des moments dont ils désirent se souvenir (photographies, mots, geste de programmation neuro linguistique …).

La recherche avance et les initiatives se développent. Emmanuelle mentionne le projet européen Rose, qui travaille à la pose d’implants olfactifs afin de redonner l’odorat à ceux qui l’ont perdu. À plus court terme, la parution d’un manuel de cuisine dédié aux personnes anosmiques qui est en cours de rédaction.

Lorsque plusieurs parfumeurs témoignent qu’ils ont la capacité d’imaginer une odeur de façon abstraite, la question d’un code à inventer se pose. Isabelle Ferrand conclut par cette idée : « Pourquoi ne pas imaginer un braille pour anosmiques, pour les aider à ressentir les odeurs comme un parfumeur ?». Ce système permettrait de retranscrire les odeurs et de donner à tous l’accès à une bibliothèque olfactive…

Créer un parfum pour une personne anosmique 

Ugo Charron, parfumeur-créateur chez Mane, a relevé ce défi en imaginant un parfum destiné à Emmanuelle, totalement anosmique. Il explique avoir organisé des ateliers afin de mieux cerner ses goûts, en faisant appel à la pseudo-synesthésie : correspondances avec les couleurs, les matières, le visuel et la musique. Il a choisi d’interpréter une saveur plutôt énigmatique pour les palais occidentaux : l’umami (ou glutamate), dont il a une perception à la fois salée, fumée, huileuse et soyeuse.

Son parti-pris a été de travailler un parfum de peau, pour combler une lacune ressentie par Emmanuelle. Sa fragrance, qu’il décrit comme lactonique, a été élaborée à partir de bergamote et d’iris sur un fond de musc, et infusé par des notes évocatrices : rose, cassis et cuir.

Cette fragrance inédite (que l’on a pu découvrir et sentir lors de la soirée) n’est pas trop puissante, permettant à une personne privée d’odorat une application surdosée. Jean-Michel Duriez a d’ailleurs salué cette forme est techniquement pensée de façon à ne pas incommoder l’entourage en cas d’excédent. Baptisé Umema, ce parfum avait reçu un très bon accueil lors de sa présentation au salon WPC de Miami en 2022. Un vrai pas en avant.

L’engagement de l’association Anosmie.org

Selon les statistiques pré-Covid, 5% de la population serait anosmique ; mais on ne sait pas estimer le nombre d’anosmies de naissance (1/10000 pour le principal syndrome). Les conséquences de ce handicap invisible sont multiples : absence de détection de certains dangers (nourriture avariées, fuite de gaz…), retranchement social dans certaines situations, impact sur le souvenir. Statistique alarmante : 60% des anosmiques seraient dépressifs.

L’association agit à différents niveaux : pour un dépistage précoce chez les enfants, en demandant l’ajout d’une page spécifique concernant l’odorat dans le carnet de santé, en créant un annuaire des professionnels de santé formés à ce handicap sensoriel, par l’organisation de groupes de soutien, par des partages d’expériences également ouverts aux proches, ainsi qu’à travers des actions de sensibilisation dans les écoles de parfumerie.

Anosmie.org intervient au sein du groupe GDRO3 et s’implique dans la recherche en relayant les appels à volontaires pour des études cliniques. Hirac Gurden, directeur de recherche en neurosciences au CNRS (odeur et l’odorat), est membre du conseil d’administration de l’association, ainsi que référent scientifique pour le protocole de rééducation olfactive.

Le livre « Être nez sans odorat », publié tout récemment par Anosmie.org et dont les bénéfices lui sont reversés, tente de répondre à ces questions : Comment se construire sans odorat dans un monde fait d’odeurs ? Comment l’anosmie congénitale impacte-t-elle la relation à soi et aux autres ? Comment les parents peuvent-ils accompagner leurs enfants ? Quels traitements ou opérations ?
Au fil des pages, il apporte de nombreux témoignages.

Du chemin reste à parcourir même si, depuis les épidémies de Covid, le grand public a été sensibilisé à l’anosmie. Cette soirée entre Né(e)s sans nez et des Nez a démontré que cette cause suscite désormais l’intérêt des parfumeurs-créateurs, avec l’envie de se revoir et d’aller plus loin ensemble !

Cinquième Sens et Anosmie.org tiennent à remercier toutes les personnes présentes lors de cet évènement et tout particulièrement les parfumeurs Grégoire Balleydier (dsm-Firmenich), Sarah Burri (Cinquième Sens),  Pierre Boersch (Cosmo Fragrances ), Ugo Charron (Mane), Antoine Coelho (Drymer), Alice Dattée (Cinquième Sens), Serge de Olivieira (Robertet), Jean-Michel Duriez (Atelier JMD), Isabelle Larignon (Isabelle Larignon), Meabh Mc Curtin (IFF), Céline Perdriel (Cosmo Fragrances) et Coralie Spicher (dsm-Firmenich).

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