Dans un métier où l’on est régulièrement amené à sentir des parfums, un besoin peut se faire ressentir : organiser méthodiquement sa bibliothèque olfactive plutôt que d’empiler des références. Il faut alors se donner les moyens de mieux appréhender les parfums. J’ai donc suivi le cursus « Maîtrise du Langage Olfactif » chez Cinquième Sens. Quatre journées intenses consacrées à sentir 144 ingrédients, naturels ou synthétiques, ainsi que des fragrances emblématiques. Une pédagogie active qui a transformé mon expérience du parfum. 

Un prisme dynamique pour mieux saisir les odeurs

La pédagogie repose sur la pratique. Elle suit le déroulement de la pyramide élaborée par Cinquième Sens, qui matérialise sept familles olfactives et onze facettes par un code couleur. Chaque parfum ou ingrédient est senti, puis contextualisé dans ce prisme complexe. 

Les parfums sont marqués par les époques et les modes mais aussi par l’introduction ou la restriction de certaines matières. Les familles évoluent dans le temps. Ainsi, la structure de la Cologne classique, dont l’archétype est l’Extra Vieille de Jean-Marie Farina, a pu se transformer au fil du temps vers un schéma Eau fraîche, initié par l’Eau Sauvage de Dior, enrichi de facettes boisées et d’hédione. Fin du 20^ème se dessine un schéma Cologne moderne, avec CK One aux facettes musquées. Je mesure alors mieux l’incidence des molécules sur l’histoire du parfum. Autre exemple, l’utilisation pour la première fois en parfumerie du Dihydromyrcénol, dans Cool Water en 1988, donne naissance à une facette « nouvelle fraîcheur » connotée par une odeur de propre. 

À la fin de chaque séquence pédagogique, un tableau récapitule un ensemble de fragrances emblématiques, en montrant les enchainements et les filiations dans les familles et facettes. Je prends conscience que pour mieux aborder les parfums il faut adopter une vision dynamique, à l’image d’un kaléidoscope qui se reconfigure sans cesse.

Sentir et ressentir

Chez Cinquième Sens, chacun est d’encouragé à sentir de façon subjective et à exprimer sa propre perception. C’est l’un des piliers de la méthode. L’une des clés pour ordonner sa bibliothèque olfactive, c’est de se référer à son vécu. S’il existe des conventions de langage bien ancrées chez les professionnels, la description émotionnelle est essentielle pour encoder une odeur et la mémoriser. 

Il faut se laisser porter par la puissance d’évocation des ingrédients et laisser libre cours aux associations spontanées. Pour moi, l’absolu d’algue, c’est la Bretagne à marée basse, l’huile essentielle de bouleau me renvoie à une odeur de cheminée où subsistent des cendres froides, le tabanon au sel de céleri, l’indol à un bouquet de lys incommodant à tel point que l’on doit le faire le sortir de la pièce… Certaines fragrances ouvrent grand les vannes de l’émotion. Femme de Rochas représente bien plus qu’un chypre aux facettes épicées et fruitées car il a été porté par ma mère.

Entraîner son nez 

Le parcours pédagogique utilise le principe de la discrimination olfactive afin de mieux cerner les particularités de chaque fragrance. Les exercices se succèdent. Par exemple : relier certains absolus avec des parfums qui en contiennent, attribuer à trois parfums une date de création en fonction de leur écriture, faire correspondre des huiles essentielles naturelles avec les molécules de synthèse qui peuvent s’y substituer… La dynamique de groupe est stimulante. Les perceptions divergent ou se rejoignent, s’affinent et se précisent en fonction des ressentis partagés. 

Lors de ces journées de formation me donnent le temps de me laisser traverser par les vibrations des matières premières naturelles et de m’imprégner de l’étrange beauté de certaines molécules de synthèse. En sentant une matière, puis son expression dans un parfum, on s’aperçoit que les ingrédients peuvent évoluer et interagir lorsqu’ils sont juxtaposés. L’art de la composition est infiniment complexe et, progressivement, je mets en place des repères pour mieux l’apprécier.

Rien de tel que la manipulation en laboratoire 

Lors de la dernière session, trois familles complexes sont abordées : les chypres, les fougères et les orientales (pour des raisons pédagogiques, Cinquième Sens tient à conserver cette appellation et réserve le terme ambré pour qualifier une facette). 

Au commencement de chaque famille, il y a un chef de file, né d’un accord précis tel Le Chypre de Coty apparu en 1917. Cet accord peut évoluer et s’enrichir. Il y a donc matière à distinguer le chypre traditionnel du moderne. Au fil du temps, la mousse de chêne a été remplacée par l’Evernyl, le jasmin et la rose tendent à être détrônés par des molécules évocatrices synthétiques, et le labdanum est supplanté par des muscs blancs. Cette catégorisation classique / moderne s’applique également aux familles fougère et orientale. 

C’est par la manipulation en laboratoire que cette distinction prend tout leur sens. Pour ces trois dernières familles, on doit définir les dosages de chaque ingrédient en complétant des formules, afin de constituer les deux versions d’un accord. Cet exercice, qui s’effectue devant un orgue et par des pesées successives, est très éclairant pour moi. Je réalise qu’une molécule peut faire basculer tout l’équilibre d’une structure, tout comme un mot peut changer tout le sens d’une phrase. 

S’exercer régulièrement

Grace à ce cycle de quatre journées et à cette pédagogie active, j’ai acquis une méthode pour affiner mon odorat, tout en développant ma culture et ma compréhension du parfum. 

À présent, je ressens la nécessité de m’entraîner régulièrement à sentir en m’appuyant sur ce vocabulaire olfactif de base. De la même façon que la pratique de la danse ou d’un art requiert une discipline régulière, l’olfaction doit se muscler par des exercices quotidiens. L’Olfactorum®, orgue à parfum miniature qui contient toutes les odeurs abordées, me semble l’outil idéal. Touchée. 

Axelle de Larminat 

Merci à Veronika Rebecca et Camille, pour la qualité de leur transmission et leur passion communicative. 

Pour en savoir plus sur cette formation : https://www.cinquiemesens.com/professionnels/formations/catalogue/formation/11/perfectionnement-olfactif/