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POLÉMIQUE , IL NE FAUT PLUS DIRE « ORIENTAL » SELON LES AMÉRICAINS

DEPUIS QUE L’ADJECTIF QUALIFIANT LUNE DES PLUS CÉLÈBRES FAMILLES OLFACTIVES EST ACCUSÉ DE DISCRIMINATION AUX ÉTATS-UNIS, LA POLÉMIQUE SÉMANTIQUE FAIT RAGE DANS L’INDUSTRIE DU SENT-BON.

Laurence Férat

Tout a commencé l’été dernier, à la suite d’un article de Harper’s Bazaar : “Pourquoi continuons-nous à qualifier certains parfums d’orientaux ? ” Interrogée, la spécialiste Tania Sanchez répondait non sans polémique : “Orient vient d’un mot qui signifie “est”. La question est : l’est d’où ? En l’occurrence, de la France, où le genre du parfum est né. Cet orient vague, toujours exotisé, mystérieux, comprend l’Iran persan des tapis, le Taj Mahal de Shalimar, et ce qu’on appelle parfois l’extrême orient.” Jugeant le terme “confus et eurocentrique”, elle poursuivait son argumentaire sur la question de l’image publicitaire : “Les européens ont historiquement fétichisé et sexualisé les personnes et mes cultures asiatiques, et le marketing des parfums a malheureusement souvent joué le jeu de ce fantasme néfaste.”

Si, depuis la tour Eiffel, on peut s’étonner de l’association unilatérale d’Oriental à l’Asie, l’adjectif ravive des relents d’un passé discriminatoire dans la culture américaine. Dans ce pays qui autorise le recensement en séparant les origines, “oriental” était en effet usité de façon informelle jusqu’aux années 1960 pour désigner les communautés ayant un ancêtre asiatique, au même titre que “yellow” ou “asiatic”.

Un terme générique utilisé depuis plus de cinquante ans
L’histoire aurait pu s’arrêter là si l’australien Michael Edwards, auteur de Fragrances of the world (une classification mondiale des nouveautés sur laquelle se basent nombre de sociétés), n’avait déclaré dans la foulée : “Le temps est venu de remplacer le terme obsolète “oriental” par un mot plus inclusif”, qualifiant ainsi d'”ambrés” les parfums concernés. Une démarche suivie par la Fragrance Foundation USA, organisme chargé de la promotion des marques…et, le marché étant globalisé, par la majorité des fournisseurs d’ingrédients, qui ont changé de vocabulaire.
Même la ISPC (international Society of Perfuler-Creators), qui est basée en France défend les intérêts des parfumeurs, s’est alignée, remplaçant oriental par ambré. Pourtant, il suffit de taper “parfum oriental” dans un moteur de recherche pour réaliser l’importance de cette famille, avec de grands succès, tels qu’Angel, de Thierry Mugler, et Black Opium, d’Yves Saint Laurent, présentés comme deux “orientaux gourmands”. Alors forcément en off, les esprits s’échauffent : “L’orient est un terme vague dont chaque civilisation a sa propre perception”, estime le parfumeur d’une maison de composition mondiale, qui a sondé ses collègues sur leur compréhension du mot. “Pour les Européens, il se réfère à une zone allant du Moyen-Orient à l’Inde. Pour l’Inde, il concerne tout ce qui est à l’est de ses frontières, soit la chine, le Japon, des pays qui eux ne mettent aucun affect dans cette appellation. Quant aux parfumeurs du Moyen-Orient, ils tiennent à garder cet adjectif, qui, selon eux, définit leur style de parfumerie, telle que les ouds et les attars. Par ailleurs, ils qualifient Shalimar d’oriental à l’européenne.” Il est vrai que shalimar est l’archétype du genre, à tel point que Guerlain le présente comme “le premier parfum oriental de l’histoire” sur son site internet. L’appellation se serait substituée à “ambrée” (déjà) à la fin des années 1920 afin d’être plus accessible au grand public, notamment aux anglo-saxons, férus de fragrances françaises. Des catalogues publicitaires de l’époque en attestant. “Pour les professionnels, les premiers orientaux remontent à trois emblème de notre parfumerie : Habanita de Molinard (1921), Émeraude, de Coty (1922) et Shalimar, de Guerlain (1925), précise Isabelle Ferrand, présidente de l’organisme de formation Cinquième Sens, à Paris. Cette terminologie s’explique autant à travers l’univers projeté par leur nom et leur publicité que par leurs similitudes olfactives : des notes vanillées ambrées douces, type benjoin, ciste, baumes, ainsi que du patchouli et des épices. L’accord ambré seul ne contient ni patchouli ni épices.” Pour le moment, Cinquième Sens maintient la famille orientale dans son enseignement, sauf aux États-Unis, où les élèves ont le choix d’employer l’un des deux adjectifs – oriental ou ambré. “Nous expliquons l’histoire de la parfumerie et, si le mot oriental a été utilisé durant plusieurs dizaines d’années, il est compliqué de le gommer”, souligne Isabelle Ferrand. La Société française des parfumeurs, elle, n’a pas à trancher puisque sa classification a toujours parlé de famille ambrée, mais sa présidente, Véronique Dupont, estime que le parfum dit “oriental” est une définition historique et technique : ” il s’agit d’une promesse d’évasion dérivée du courant artistique orientaliste du XIXe siècle. Pour toute une génération de parfumeurs comme de consommateurs, il renvoie à une famille olfactive comportant des fragrances sensuelles au sillage enveloppant, légèrement animal – on pense aux facettes cuirées de la vanille, du parchouli, mais aussi aux notes d’extraits de castor ou de civette, courants à l’époque. Shalimar est unanimement considéré comme un chef-d’oeuvre.” Désormais la toute-puissante notion d’inclusivité ne s’arrête plus aux jus non genrés ou au choix d’une égérie consensuelle… À Grasse, un parfumeur à la retraite, étonné d’une telle polémique, demande de son côté si la “cancel culture” ne devrait pas alors décrocher tous les tableaux d’odalisques des musées. et S’inquiète plus du changement climatique, qui menace les cultures de plantes à parfum, que du débat sémantique américain.

Source : lefigaro.fr Edition : 02 fevrier 2022 P.28-31 Journalistes : LAURENCE FÉRAT 

1.Habanita de Molinard,
l’un des pionniers, lancé durant les Années folles en 1921

2. Shalimar de Guerlain, l’archétype de l’« oriental », avec une bergamote qui danse sur de l’iris, de la vanille, des baumes et du patchouli

3. Angel de Mugler, sorti
en 1992,avec une praline sucrée sur une overdose de patchouli a renouvelé le genre

4. Black Opium d’Yves
Saint Laurent, un gourmand oü du café noir sucré bouscule des fleurs blanches sur lit de vanille

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